Analyse du rapport de l’Académie Nationale de Médecine «De la bientraitance en obstétrique La réalité du fonctionnement des maternités»

Bientraitance en obstétrique

Analyse du rapport de l’Académie Nationale de Médecine «De la bientraitance en obstétrique La réalité du fonctionnement des maternités»

Analyse du rapport de l’Académie Nationale de Médecine «De la bientraitance en obstétrique La réalité du fonctionnement des maternités» 1920 971 IRASF - Institut de Recherche et d’Actions pour la Santé des Femmes

Le 19 septembre 2018, l’Académie Nationale de Médecine dévoilait enfin son rapport sur les violences obstétricales et gynécologiques intitulé « De la bientraitance en obstétrique, la réalité du fonctionnement des maternités », bien que le terme soit difficile à assimiler pour les instances (il est question de « ce qui est qualifié de violences gynécologiques et obstétricales »). Nous pouvons nous réjouir que le sujet soit traité… Cependant, à la lecture, c’est la déception.

A l’IRASF nous avons pour habitude de nous questionner et certains passages nous interrogent :

  • Le communiqué de presse fait état des demandes principales. Aucune demande principale ne mentionne le respect du consentement libre et éclairé des patientes. Cela ne serait donc pas une priorité pour l’Académie Nationale de Médecine ?
  • Le rapport, de 22 pages, commence par un plaidoyer en faveur des résultats des maternités : sécurité, baisse de la mortalité, en rappelant quand même de fortes disparités concernant le taux de mortalité dans les DOM-TOM, où il est 4 fois supérieur à celui de la métropole, et dans la région île de France où les femmes nées en Afrique subsaharienne ont un ratio de mortalité maternelle (RMM) 3,5 fois plus élevé que les femmes nées en France [1]) et pointant certains dysfonctionnements. Ces dysfonctionnements seraient-ils les seuls responsables des violences obstétricales ?
  • A propos de l’épisiotomie (p.10), l’Académie Nationale de Médecine rappelle que « son efficacité pour la prévention des troubles de la statique pelvienne et des déchirures périnéales de degré 3 ou 4 n’est pas prouvée », pourtant, ce même paragraphe termine par « ce geste est parfois nécessaire et souhaitable et la suture doit en être très soigneuse », sans en donner les raisons pour lesquelles un acte dont l’efficacité est non prouvé serait quand même parfois utile. L’académie oublie aussi de rappeler la nécessité du consentement libre et éclairé de la parturiente pour que cet acte chirurgical, à l’efficacité non prouvée, soit pratiqué.
  • Sur la démédicalisation de l’accouchement (p.11), il est précisé que « Pour les parturientes à très bas risque la surveillance de l’accouchement peut être démédicalisée et adaptée aux souhaits exprimés par le couple : respect de la dynamique utérine spontanée, rupture tardive de la poche des eaux, analgésie non médicamenteuse, déambulation, surveillance intermittente du rythme cardiaque fœtal, position d’accouchement laissée au choix de la patiente, clampage retardé du cordon, peau à peau, etc. »  Rupture tardive de la poche des eaux mais rupture quand même ? Qu’est-ce que le « très bas risque » ? Qui définit ce que les femmes vont pouvoir décider pour leur accouchement ? Qu’en est-il pour les femmes qui ont déjà eu une césarienne ? Les femmes déclenchées ? Pourront-elles choisir leur position d’accouchement ? Décider de clamper tardivement le cordon ? Où seront-elles interdites de choix, aussi importants ET PERSONNELS que la position d’accouchement, la déambulation, l’analgésie… n’étant plus dans le « très bas risque » ?
  • Plus loin elle ajoute « Si les impératifs de sécurité demeurent fondamentaux, ce type de prise en charge ne peut se concevoir qu’à la condition qu’il soit possible, en cas d’événement nouveau porteur de risque, de passer sans délai à une surveillance classique voire d’envisager une prise en charge médicale active. » La loi kouchner sur le consentement libre et éclairé s’applique-t-elle pour les parturientes « à risque » ? Quels sont les critères d’éligibilité à la bientraitance et au respect du droit des patientes ?
  • Sur les « griefs » envers la prise en charge (p.12), nous notons :  « L’impossibilité d’avoir recours à des pratiques pourtant recommandées comme la pratique du peau à peau, immédiatement après la naissance, en général, faute de personnel disponible. » Quel personnel supplémentaire faut-il pour qu’un bébé reste sur sa mère ?
  • Pour répondre à ces critiques, l’Académie Nationale de Médecine veut « insister sur le rôle joué, par le recours fréquent à des médecins intérimaires dans un certain nombre d’établissements, dont les pratiques ne sont pas forcément en adéquation avec les protocoles de service recommandés en France. » (p.13) Sur les milliers de témoignages recueillis depuis 2015, nous n’avons pas remarqué de rôle significatif des internes étrangers dans les cas de violences obstétricales… L’Académie Nationale de Médecine accuserait-elle les étrangers ?
  • Sur la demande d’usagères concernant leur choix d’accouchement, l’Académie précise que : « Ces griefs, bien réels, ne devraient pas servir […]’à la promotion d’alternatives dans les lieux et les pratiques d’accouchement mettant en jeu la sécurité des mères et de leurs nouveau-nés, telles que l’accouchement à domicile ou les maisons de naissances dissociées des maternités. » A l’IRASF nous ne soutenons aucun mode d’accouchement en particulier. Le choix appartient à la parturiente. Cependant, ignorer la demande des usagères qui consiste à donner le choix, sous couvert de « l’accouchement est dangereux » dénote une certaine infantilisation des femmes, incapables de faire le « juste choix » pour elles et surtout, pour leur bébé… Le choix de l’hôpital, forcément.

Pour « aller vers la bientraitance » l’Académie propose :

> (P.14) « La rédaction précoce, dès la première moitié de la grossesse, d’un projet de naissance, commenté par les gynécologues-obstétriciens ou les sages-femmes ».
Donc un projet élaboré par les soignants ? Qu’en sera-t-il en cas de désaccord ? Ce projet de naissance aura-t-il une valeur légale ? La femme en travail pourra-t-elle changer d’avis ? Cela ressemble beaucoup aux problématiques du consentement sexuel : si j’étais d’accord avant mais que je ne le suis plus maintenant, dois-je subir ?

> (p.15) « La mise à disposition des femmes enceintes, par chaque maternité, de certains indicateurs leur permettra de pouvoir, le cas échéant, choisir leur lieu d’accouchement en fonction des pratiques de chaque établissement. »Pour les femmes qui pourront choisir. De quels indicateurs parlons-nous ? Qui les définit ?

> (p.15) Concernant le consentement libre et éclairé, il est demandé aux soignants de prendre en compte que, quand même, « La connaissance des RPC qu’ont les femmes enceintes peut être exacte ou biaisée par l’interprétation qu’elles en font ou qui en est faite par les supports internet ou par les réseaux sociaux. » et nous nous interrogeons sur le besoin qu’a eu l’Académie Nationale de Médecine de préciser ce point dans son paragraphe qui concerne le consentement…autant que sur cette irréductible infantilisation des femmes qui perdraient leur discernement une fois enceinte…

> (P.16) La bientraitance passera aussi « par l’écoute des femmes et de leurs souhaits, en dehors de contre-indications médicales. » Les souhaits des femmes seront-ils écoutés même si ils sont contraire à l’avis médical ?
Qu’en est-il du consentement ? Pourrait-on vous soigner de force dans d’autres situations ?

> Et enfin, la bientraitance passera par « l’évaluation précise, au cours de l’accouchement, de la douleur et sa prise en charge. Elle doit constituer une priorité. Le ressenti des patientes doit être entendu, et, sauf urgence extrême, il convient de toujours vérifier et améliorer, si nécessaire, la qualité de l’analgésie en cas d’intervention médicale : extractions instrumentales ou césarienne. » SAUF EN CAS D’URGENCE EXTRÊME. L’Académie Nationale de Médecine serait-elle en train de justifier les actes pratiqués à vif sur les femmes ? Les révisions utérines à vif ? Les césariennes à vif ?

Comment déterminer un cas d’extrême urgence quand le jugement même de cette urgence peut-être biaisé par l’expérience du soignant, ses connaissances, ses peurs, ses croyances…

Dans le cas des césariennes à vif, sous couvert d’urgence extrême, combien de soignants savent que, d’après l’étude « La césarienne à vif : parlons-en ! »[2] le « délai entre l’indication et la réalisation d’une césarienne très urgente peut varier entre 13 et 35 minutes sans que le pronostic néonatal en soit globalement modifié. Ces données ont été validées par de nombreuses autres études. Dans l’esprit de nombreux obstétriciens, chaque minute compte, et perdre du temps engage un peu plus le pronostic néonatal. Pourtant, débuter (ou poursuivre) l’acte chirurgical en présence d’une douleur maternelle indique que l’obstétricien(ne) agit en privilégiant le nouveau-né au détriment de la mère, sans améliorer le plus souvent le pronostic néonatal. »

L’urgence extrême est une excuse fréquemment utilisée pour justifier des actes extrêmement douloureux, intolérables physiquement et mentalement, s’apparentant à la définition de la torture, et c’est inacceptable, qui plus est de l’Académie Nationale de Médecine, de l’utiliser à son tour dans un rapport sur la « bientraitance » en obstétrique.

Comme ce rapport nous rappelle étrangement les dernières recommandations de la HAS sur l’accouchement normal, nous allons terminer ce communiqué de la même manière [3] :

Pourquoi essaie-t-on, encore, de faire croire aux parturientes que leur autonomie est un frein à leur sécurité et à celle de leur enfant ?

La seule réponse que nous exigeons est le respect de la loi et donc du consentement libre et éclairé.

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Sources

Communiqué de presse du rapport de l’Académie Nationale de Médecine : http://www.academie-medecine.fr/communique-de-presse-de-la-bientraitance-en-obstetrique-la-realite-du-fonctionnement-des-maternites/

Rapport de l’Académie Nationale de Médecine « De la bientraitance en obstétrique – La réalité du fonctionnement des maternité » : http://www.academie-medecine.fr/wp-content/uploads/2018/09/Rapport-M-crépin-18-septembre-2018.pdf

1 « Les morts maternelles en France : mieux comprendre pour mieux prévenir » : http://invs.santepubliquefrance.fr/Publications-et-outils/Rapports-et-syntheses/Maladies-chroniques-et-traumatismes/2017/Les-morts-maternelles-en-France-mieux-comprendre-pour-mieux-prevenir/

2 La césarienne à vif : parlons-en ! The Living Caesarean: Let’s Talk about It! D. Benhamou · F. Mercier © Lavoisier SAS 2016 : https://dea.revuesonline.com/articles/lvdea/pdf/2016/02/lvdea292p61.pdf

3 Analyse des recommandations de la HAS sur l’accouchement normal par l’IRASF : https://www.irasf.org/2018/02/02/analyse-recommandations-de-haute-autorite-de-sante-laccouchement-normal/